AVENTURES VANUATAISES, VOL. 3 : CRAIG COVE

Publié le par JB

Le tournage du documentaire a commencé dans la foulée, au centre culturel de Port Vila. On y trouve une démonstration de sandroing, un art vanuatais aujourd'hui inscrit au patrimoine de l'Unesco en tant qu'héritage immatériel de l'humanité. A l'aide des subventions de l'Unesco, le centre a pu embaucher un maître de "l'écriture sur le sable" (ou sand drawing en anglais), et ainsi offrir à ses visiteurs une démonstration de cet art pratiqué essentiellement dans les îles du centre de l'archipel vanuatais, soit Ambrym, Pentecôte, Ambae et Maewo. 


 

Le tournage a duré une petite demi-heure puis on a rangé le matériel ; le plus gros des prises de vue se feraient ensuite, sur Ambrym. La soirée fut calme et studieuse, Yannick et moi passions le temps à discuter du bon vieux temps... Ah!, que de souvenirs à laisser resurgir l'instant d'une nuit, les têtes vagabondant du passé gravé dans nos mémoires au programme du lendemain à peaufiner. Le voyage sur le volcan d'Ambrym promettait d'être intense et enrichissant. 

On est arrivé à Craig Cove en fin d'après-midi, le village semblait si pauvre... L'associé de Michel séjourne là-bas, il y tient une maigre guesthouse construite avec les sous de notre cher guide, ainsi qu'avec l'aide d'un visiteur de passage, bienveillant mécène ayant laissé son nom sur le mur principal de la bâtisse. Le sol de Craig Cove n'est pas très fertile, il souffre des pluies acides dues aux retombées du volcan (les cendres contaminant le sol, empêchant toute culture). Du coup, alors que les habitants de l'île vivent essentiellement de cultures diverses et variées, ceux du village où nous avons séjourné la première nuit font figure de "pauvres" dans la région, rien ne poussant comme ils le souhaiteraient...

Bien qu'en réalité ce soit impossible, les villages essaient au maximum de vivre en auto-suffisance ; on n'importe que le minimum vital. A Craig Cove, rien ne pousse, donc tout s'achète. Et quand on n'a pas d'argent, les choses se compliquent forcément. J'y ai vu des hommes humbles mais si démunis... des hommes qui ont chanté pour nous les merveilles du Vanuatu tout en ayant l'oeil jaune ; malnutrition quand tu nous tiens... Il y avait ces enfants également, qui nous récitaient avec bonheur - et une pointe de crainte - les paroles des chansons françaises qu'on leur apprenait à l'école. Des enfants qui sortaient à peine de leur bain dans l'océan, à la sortie du village, là où se trouve quelques sources d'eau chaude faisant des bulles dans l'eau salée. Ils faisaient le spectacle sous l'oeil atone de la caméra, petit point rouge indiquant l'état de marche. Julien a filmé jusque tard dans la nuit, lorsqu'il a fallu rentrer dîner. 

Quelques heures auparavant, on avait également enregistré dans notre belle machine le processus de fabrication du kava, la boisson. (le kava, kawa, kava-kava ou kawa-kawa est une plante originaire du Pacifique occidental. Apparenté au poivre, le kava est utilisé depuis des temps immémoriaux dans la vie religieuse, culturelle et politique de l'ensemble du Pacifique. En occident, on l'utilise en infusion pour lutter contre les symptômes du stress, de l'anxiété et de la dépression. En France, il est néanmoins interdit à cause des effets secondaires qu'il peut engendrer, et des risques d'atteinte hépatique graves qu'il peut entraîner.) 


 

On boit le kava dans un nakamal, ou autrement dit : un bar à kava. Tout au long de notre séjour au Vanuatu, on aura eu droit à notre dose quotidienne de kava, exception faite des nuitées passées sur le volcan ou à Lalinda, la boisson étant interdite de consommation dans la tribu qui nous hébergeait. 

Le kava fait tourner la tête et endolorit la bouche. Il a des vertus anesthésiantes qui laissent une impression étrange après plusieurs verres... Il se boit cul-sec, ce qui est préférable étant donné son goût exécrable! C'est d'abord une touche terreuse très prononcée qui inonde le palais, puis un arrière-goût d'anis et de plante qui remonte et laisse la bouche pâteuse. Un bon verre d'eau est fortement conseillé dans la foulée!

 

Le soir, nous avons dormi dans les lits simples et usés de la guesthouse, sous des moustiquaires bien utiles. Ce fut nos derniers vrais matelas avant une bonne semaine, et nous n'avons pas profité de ce confort à sa juste valeur. Le lendemain, on passerait la nuit dans nos tentes respectives, sous une pluie torrentielle filtrant à travers la toile (dans mon cas). 

 

On a sauté du lit au petit matin,prêt à dégainer la caméra au moindre mouvement cinégénique... On a filmé les moindres recoins du village, des fours à copra - chair de la noix-de-coco qu'on a laissé mûrir à l'excès, jusqu'à ce qu'elle sente le roquefort, et qu'on cuit lentement dans un four avant de l'exporter vers des usines qui l'utilisent pour en faire de l'huile, des savons ou autres divers produits de cosmétique - aux maisons peintes de milles couleurs, de la plage abandonnée en début de journée au puits à eau offert par le chef du village à ses habitants (puits d'eau de pluie recouvert de tôle rouillée pour empêcher la cendre du volcan de se mélanger à l'eau ; eau malgré tout souillée par la proximité du volcan, malgré ce que le chef prétend fièrement... il vaut mieux éviter de la boire, mais que faire quand on a pas d'autre choix?) 

Pour finir, alors que la pluie commençait déjà à tomber et qu'on savait le 4X4 nous amenant à Lalinda bientôt prêt à partir, on a filmé les paroles d'un vieil homme à la mémoire inestimable... Il se tenait debout à l'aide d'un bâton de fortune, un de ses pieds rongé par la maladie et la vieillesse. On l'a fait s'asseoir pour qu'il nous raconte le village tel qu'il était il y a cinquante ans. Il avait l'oeil droit décoloré, vide et aveugle. Ses mots étaient puissants, simples et déchirants. Un jeune homme de sa famille traduisant ses paroles au fur et à mesure que ses souvenirs remontaient à la surface de sa mémoire ; on se taisait et on écoutait. A la fin de l'entretien, on était tous secoué et on a fait demi-tour en silence - les images parleront d'elles-même. On a fini nos sacs et on était content d'aller voir plus loin ce qui s'y passait ; Craig Cove avait pénétré profondément dans ma peau et j'en avais la chair de poule. Tant de désolations ne peut laisser insensible. 

 

Une fois installés à l'arrière du 4X4, on a pu lâcher un grand "ouf" : l'aventure reprenait, avec la joie de s'attaquer à l'inconnu en bandoulière. Lalinda, nous voilà! Volcan d'Ambrym, tiens-toi bien!

 

Publié dans VANUATU

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