AVENTURES VANUATAISES, VOL. 4 : LALINDA

Publié le par JB

On a loué un des trois 4X4 de l’île pour faire le trajet Craig Cove-Lalinda, l’ascension du volcan se faisant à partir de cette dernière. Sur la route, la direction a lâché et on a dû assister à la réparation la plus dangereusement comique du monde –  enfin, on riait jaune surtout. Sur une belle inspiration de Yannick, on a remis le véhicule en état de rouler et c’était reparti pour une heure de cette piste en terre propice au mal de fesse ; il faut préciser qu’on était installé sur une planche de bois à l’arrière découvert du véhicule… Un instant, on a cru que la pluie allait s’inviter à la fête, mais trois gouttes sont tombées, puis les nuages ont retenu le reste, on l’a échappé belle.

 

L’arrivée à Lalinda a surpris ceux qui y mettaient les pieds pour la première fois : partout, de l’ordre, une nature verdoyante domptée d’une main de maitre ; des haies clôturant chaque maison ; des jardins privatifs. Et le tout d’une propreté maniaque… un monde à l’opposé de celui qu’on venait de quitter. L’antithèse de Craig Cove.

Plus tard, Michel allait nous expliquer le pourquoi de ces différences si frappantes autour de la table à manger du chalet communautaire : ici, la religion avait fait des miracles. Je ne me souviens plus du nom de leur église – il s’agissait en tous cas d’un courant assez extrémiste de la chrétienté –, la consommation d’alcool, de cava ou de drogue était d’ailleurs fermement prohibée dans la partie anglophone du village, celle où nous étions arrivé et où on allait loger quelques jours.

En comparaison, la partie francophone du village passait pour un gros bordel : la religion n’avait pas réussi à franchir la barrière de la langue. Là-bas, on avait accès à tout ce qui était interdit cent mètres plus loin… notre culture rabelaisienne, foncièrement hédoniste, avait déteint jusqu’à ce petit bout d’ailleurs, au beau milieu du Pacifique.

Je ne porte aucun jugement de valeurs sur la religion – chacun ses croyances, les miennes frôlent le néant… une chose est sure néanmoins : à voir les habitants de Lalinda frôler l’autosuffisance, impossible d’accuser les pèlerin-prêcheurs passés par là d’avoir fait du tord à cette communauté. (Un missionnaire est un drôle de bonhomme tout de même, qui rend service à coup d’école et de puis ; mais ce qui l’intéresse véritablement, n’est-ce pas de toucher un maximum de personnes avec son Dieu ?) Toujours étant qu’à interdit, infraction il y a… et c’est le fils du chef du village qui se charge d’avoir le mauvais rôle ce coup-ci – enfant gâté, encore un qui veut tuer le père ! –, lui qui s’installer le soir venu à notre table débarrassée et qui nous débitait moult propositions indécentes d’un air de défi, fier de son rôle ingrat. Venez boire le cava avec moi ! (…) J’ai fini vos verres de vin à la fin du repas, personne ne l’a remarqué ! (…) je fume, et vous ? (…) Je peux rouler si ça vous intéresse… Personnage tragique, si vous voulez mon avis (vous l’avez de toute manière…) ; aussi petit que son père est grand.

 

 L’équipe de tournage s’est mise en branle pour tourner quelques images avant que la nuit ne tombe sur Lalinda, on est donc allé se promener du côté francophone du village dans un premier temps. La pluie a fini par tomber drue et mes partenaires ont dû conduire les entretiens à l’abri, sous des bâches de fortune ou dans les maisons-même des intervenants. La lumière déclinait à une vitesse folle à cause des nuages chargés qui progressivement gagnaient le ciel sur toute sa surface ; ils ont sorti les applis et continué d’enregistrer des voix impressionnées par la caméra qui tournait, l’œil fixement posé sur de pauvres paysans d’une île perdue de l’archipel du Vanuatu…

Un homme nous a sorti un schéma où les coulées de lave du volcan d’Amprym étaient indiquées par de petites flèches rouges. Sur ce schéma apparaissait également les retombées probables des pluies acides liées à l’activité du Volcan (Craig Cove était en plein milieu de la zone rouge, la zone à risque). Lalinda semblait à l’abri de ce malheur, mais à ce que j’ai compris, en cas d’éruption soudaine, tout ce petit monde mourrait ; on n’aurait pas le temps de les évacuer avant que la lave ne détruise le village et gagne la plage en contrebas. Pour passer des jours paisibles sur une île paradisiaque, on repassera donc…

 

La pluie n’a pas cessé de l’après-midi, de la soirée et de la nuit ; fort heureusement, on avait déjà planté nos tentes. Après un repas formidable – ces chips de manioc !, cette crème de coco !, ces saveurs uniques et que je n’oublierai pas de sitôt ! –, nous avons donc tranquillement regagné nos habitations primaires dans l’optique d’un réveil de bonne heure, et c’est à ce moment-là que mon périple au Vanuatu a viré en expérience éprouvante : ma tente prenait l’eau à tout-va.

J’ai passé la nuit à colmater tant bien que mal toutes les brèches, malheureusement il était déjà trop tard, mes affaires étaient trempées. Comme il n’allait pas s’arrêter de pleuvoir de la semaine, elles ne sécheraient jamais… et c’est ainsi qu’humide de bout en bout, j’allais passer les jours suivants entre coup de froid, frustration, dépit, découragement, énervement… et fatigue. Le lendemain, on a bougé ma tente dans l’entrée du chalet communautaire, mais il était déjà trop tard ; seul le soleil aurait pu me venir en aide, seulement il n’a pas daigné montrer le bout de son nez avant qu’on se résigne à redescendre du volcan.

 

Je me souviens que malgré cela, j’ai passé de bons moments à Lalinda. Des moments marqués par l’excitation d’être là, en ce jour J, alors que le monde était au travail partout ailleurs… j’étais alors traversé d’un sentiment de liberté enfantin, et je me laissais aller à plus d’insouciance. J’ai joué au foot pendant des heures avec les enfants du village ; on était trempé et on s’en fichait, on courait d’un but à l’autre à grand coup de cris et d’halètement. Le calvaire a continué quand j’ai pris un ballon dans la tête – j’ai alors ramassé mes lunettes en morceaux sur le sol gorgé d’eau. Moins d’une semaine auparavant, quelqu’un avait volé une autre paire que je gardais dans une boîte de marque, croyant sans doute s’en sortir avec une paire de Ray Ban affreusement chics… quelle déception cela a dû être pour lui ! En tous cas, le sort s’acharnait sur moi à Lalinda et c’est dégoûté que j’ai terminé une journée que j’avais attaqué du bon pied malgré les événements de la nuit précédente.

 

Une autre fois, on s’est retrouvé Yannick, Julien et moi sur la plage de gros sable en contrebas du village. Il pleuvait averse et les vagues cassaient en shore-break, ce qui ne nous a pas empêchés d’aller plonger une tête dans l’eau. Le sable s’infiltrait dans nos caleçons à coups de milliers de grains impossibles à chasser entre deux vagues ; il nettoyait notre peau grasse d’avoir couru d’un coin à l’autre du village dans la moiteur ambiante. A la fin de ce petit bain salé, je me suis senti lavé pour la semaine (ce qui ne m’a bien sûr pas retenu de prendre une douche tous les jours !) ; Je suis remonté mon rincer à l’eau douce et réfléchir à la scène qui venait de se jouer sous mes yeux. Je me souviens qu’un détail m’avait marqué, au moment où on s’était retrouvé tous les trois sur la plage ; on se tenait là côte à côte, mais on n’était pas au même endroit – on n’était pas ensemble. Chacun était là dans une bulle, et c’est un sentiment de grande solitude qui m’avait frappé. On trimballait en bandoulière nos rêves d’évasion ; quelque chose s’est joué dans nos têtes durant ces minutes d’abandon. Je me suis tourné vers mes amis et je les ai observés tout en me demandant comment on avait pu finir là : on était à l’autre bout du monde et la fuite ne semblait que commencer. 

Publié dans VANUATU

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