LE SYNDROME DE LA SUISSE, 1ère Partie

Publié le par JB

Ceux qui entrevoyaient une méditation sur l’art de rester neutre vont être déçus, Le Syndrome de la Suisse est un texte sur la gente féminine. Encore un.

Il n’y a pas beaucoup de sujets en ce bas monde, et on finit toujours pas se répéter un peu, c’est dans l’ordre des choses. Me contraindre à chercher une nouvelle idée chaque jour serait une torture de l’esprit intéressante à développer, mais comme le choix des sujets m’incombe principalement, je me contente d’écrire sur ce qui me trouble sur le moment. (Et il y a de fortes chances que les femmes continuent de me troubler longtemps…)

J’ai envie de raconter l’histoire de la suissesse pour plusieurs raisons : tout d’abord, ça me donne l’occasion de vous faire le récit de cette rencontre qui date de l’année dernière (désolé pour ceux d’entre vous qui la connaissent déjà par cœur…), et qui m’a profondément marquée. Ensuite, je voudrais aborder les répercussions qu’ont eues cette rencontre sur ma perception du voyage, et les attentes que j’y place désormais. Et pour finir, j’aimerais parler de la manière dont j’entreprends les choses aujourd’hui, à Taipei, avec les femmes. Ce qu’elles exigent de moi, ce que je leur donne, et ce fossé entre ce que je suis censé leur donner  - étant donné mes convictions sentimentales – et ce que je donne réellement. Allez, c’est parti pour la tartine !

Le Syndrome de la Suisse est le récit d’un miracle qui n’aura pas eu lieu, en janvier 2009, alors que je traversais le Vietnam. C’est la victoire du cinéma français dépressif sur le happy-end à l’américaine ; l’histoire d’une étincelle qui n’aura pas eue l’opportunité d’embraser nos deux cœurs solitaires. Personnellement, je l’ai vécu comme un signe ingrat du destin : « tiens, voilà l’espoir. C’est bon, tu l’as vu ? Maintenant, cours après ! » Malheureusement, j’ai manqué de souffle.

Afin de mieux percevoir le caractère unique de cette rencontre, je vais devoir passer par quelques descriptions générales auparavant ; qui suis-je en voyage ?

En voyage, je suis très ouvert avec les locaux, et inversement fermé avec les autres étrangers, planqué derrière une barricade d’indifférence qu’il est difficile de fissurer. Ne me demandez pas pourquoi je me comporte ainsi, je n’en sais rien. Il doit y avoir une part de défi dans ce geste. Et une autre de bêtise. Souvent la seconde l’emporte, mais on s’en fiche. Le fait est que je n’ai pas envie de créer des liens factices, temporellement négligeables, avec d’autres êtres humains dont la seule particularité est d’afficher la même tronche caucasienne que moi, une acné bien soignée et une langue immédiatement identifiable à mon oreille. Ça ne me parait pas être une raison suffisante pour appeler quelqu’un « mon ami » à l’autre bout du globe, malgré les heures passées seul à table, à me promener et à dormir. La solitude n’excuse pas la compagnie artificielle.

Je dois tout de même avouer que j’apprécie ces moments hors du temps où je peux dialoguer avec ma conscience, jeu de questions/réponses incessant où je me permets d’interroger la condition humaine, et la place que j’occupe au sein du système-monde. Je pense à la chance que j’ai d’être né en France ; de pouvoir me balader alors que tant de personnes peinent à survivre. Je me demande ce que j’ai fait, au final, pour mériter ce confort. J’écris de Taïwan, parce que c’était mon désir de venir ici. Je paie un loyer, je mange grassement, je dépense, je profite… mais je ne gagne rien. Et ça n’a pas d’importance. Pas pour le moment. Je suis béni des Dieux, et pourtant je n’arrive pas à me sortir de la tête ce rêve de confort ultime : une richesse qui me mettrait à l’abri du besoin pour de bon. Je suis en colère contre les valeurs qu’on m’a transmises : je hais la société qui m’a inculqué à ne jamais en avoir assez. De quoi ai-je besoin de plus, vraiment ?

Je m’emporte, ce n’est pas le sujet. Je dois cesser de maltraiter le récit de la sorte, j’aime trop me disperser. Je racontais donc que j’avais en horreur les pseudo-partages d’expériences que vous procurent inévitablement le fait de voyager seul. On vous aborde si facilement… Un étranger en manque de communication repère vite un de ses semblables. Le piège est élémentaire : un sourire, un « how are you doing » aux intonations larmoyantes et vous êtes ferrés. Il vous a lâché son cri de douleur : « reste avec moi, mec. STP ! » C’est dur de se défiler. Le plan est parfait.

Généralement, je leur sers des banalités affligeantes, le genre de pensées binaires que l’on prête au quaterback de l’équipe de foot et à sa pom-pom girl de copine. (Même si Glee vient d’anéantir ce cliché de façon magistrale !) Ma présence ne leur apporte pas grand réconfort, et ils sont vite fait d’aller voir plus loin, à la recherche d’une épaule plus douce contre laquelle ils pourront déverser leur mélancolie. Je ne suis pas dans le partage – dans ces moments-là -, je suis dans l’introspection.

Le jour où j’ai rencontré la suissesse, je suis tombé sur plus fort que moi. Elle était autrichienne et heureuse de vivre ; elle faisait tache dans le paysage avec sa bonhomie naturelle et son allant indéfectible. Elle m’a abordé comme elle a abordé les cinq autres touristes qui partageaient le minibus en silence : avec une rafale de questions contre laquelle je n’ai rien pu faire. J’étais désarmé. Elle a rejeté mon indifférence d’un revers de la main, et a continué d’attaquer ; elle a attendu que je finisse exsangue, vidé de toute information. Alors elle a regardé autour d’elle - il lui fallait une nouvelle victime -, et elle s’est contentée d’un : « tu sais que la nana à côté de toi parle aussi français ? Elle est suisse. » Le mal était fait.

Avec la suissesse, on s’est jeté un coup d’œil en forme d’excuse. Pardon pour cette intrusion, je ne voulais pas te déranger. Pardon d’avoir à te parler maintenant, même si c’est de la pluie ou du beau temps. Foutues conventions qui nous obligent à sociabiliser quand on a des racines communes… (Ici la langue.) Sans l’intervention de l’autrichienne, je ne me serais pas permis ; mais je suis un homme poli, aussi j’ai fait la conversation.

(...)

P.S : désolé mais il est tard et je m'endors... la suite demain.

Publié dans VIE PERSO

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article