DU CACAO, PAS DE MACAO

Publié le par JB

Levé de bonne heure avec l’intention de me rendre à Macao pour la journée, je me rends au port le ventre vide, et je cherche le ferry qui me mènera au Las Vegas chinois, cet ancien comptoir portugais aujourd’hui transformé en parc d’attraction saturé de néon ; je ne trouve pas. Au bureau d’information, on m’indique que je dois me rendre dans un second port, à quelques centaines de mètres d’où je me trouve. Pas de problème, j’allonge le pas et j’y suis rapidement. Macao se fait désirer, je me dis. A mon arrivée sur place, je me rends compte que les trois prochains ferrys sont déjà complets…  je commence à être passablement agacé. Les billets pour le ferry de 12h30 sont en vente et la queue devant les guichets est énorme. Faut croire que les chinois raffolent de Macao. Je me renseigne sur les tarifs, somme toute raisonnables : l’A/R coûte 300HK$, soit environ 30€. Seulement, je ne suis pas seul et mes compagnons de route hésitent, ils trouvent que le prix est excessif pour le temps qu’on passera sur l’île. Quelque part ils n’ont pas tord, mais je me fiche toujours du combien ça coûte quand je veux réellement quelque chose ; j’y mets le prix et je gère avec ma conscience plus tard. De leur côté, ils ont la chance de rester une journée de plus, ils peuvent donc se permettre de passer outre aujourd’hui, ils pourront toujours y aller demain. (Ce qu’ils feront d’ailleurs, puisqu’ils ont pris des tickets pour un départ à 7h30…) Je me retrouve coincé. Soit je les lâche, soit je me tais, je passe un bon moment avec eux et on trouve un plan de secours. Une fois n’est pas coutume, je décide de céder : je vais passer la journée en leur compagnie.

Ce n’est pas vraiment dans mes habitudes de préférer la compagnie à la marche solitaire, mais le temps est pourri et je me dis que je devrais de toutes façons revenir à Hong Kong dans quelques mois pour renouveler mon visa, si je ne trouve pas de boulot à Taïwan. J’aurais alors l’occasion d’aller visiter Macao. Il y a tant de choses à faire l’été venu, des plages aux îles plus sauvages, que j’ai de quoi remplir une nouvelle semaine de vacances à Hong Kong sans nécessairement retourner dans les endroits que j’ai déjà visités ; je n’aurais que l’embarras du choix.

Après cinq minutes de réflexion à trois têtes, on vote d’un commun accord de nous rendre sur l’île de Lautau où se trouve un Bouddha géant de 36m de haut, calé sur un pic surplombant les environs. Pour cela, on doit déjà traverser la baie en direction de Central, un quartier de Hong Kong Island, l’île qui a donné son nom à la ville. Cette traversée relativement courte (à peine 7mn), je l’ai effectué la veille, alors que je partais à la découverte du mythe. (Cette journée, je la relaterai plus tard, dans un autre texte, un papier en forme de synthèse sur ce que j’ai vu de Hong Kong.)  A peine débarqués, nous montons dans une autre embarcation direction Mui Wo, le terminus du ferry. On pensait que cela allait nous prendre vingt minutes mais on y passe quasiment l’heure ; pour 13HK$, c’est plutôt généreux. Bien sûr, ce qu’on ne savait pas, c’est que le ferry allait nous débarquer dans un petit port paumé, où la seule attraction reste la gare routière… on se met donc à la recherche du bus qui nous mènera au Bouddha. Les indications sont claires, on trouve de suite, pas de problème. Ce qui est plus gênant, c’est que le bus exige qu’on ait la somme exacte pour le trajet, sinon tant pis pour nous, il ne rend pas la monnaie. C’est affaire courante à HK, on n’est donc pas choqué, mais je n’ai que des coupures de 100HK$ dans ma poche, et je me refuse à laisser près de six fois le prix du trajet pour une question de monnaie ! Le bord de mer est désert, il est encore tôt et c’est le genre de village qui doit s’éveiller l’été venu. On se met tout de même en quête d’un endroit où  casser nos billets avant que le bus ne se barre sans nous. Heureusement, il y a des 7/11 partout en Asie (jusqu’à y en avoir tous les 50m à Taipei) et on ne tarde pas à en rencontrer un. Monnaie, bus, route, c’est parti pour le Bouddha.

Les hongkongais ont construit un village touristique (comprenez : attrape-nigaud) à deux pas du géant en pleine méditation, c’est le Ngong Ping Village. On y trouve deux salles de cinéma retraçant les mérites des singes (oui oui) et de Bouddha. Celui qui est consacré à sa sainteté offre bien sûr une expérience en 3D des joies de la transcendance. Des magasins de souvenirs en veux-tu, en voilà, à des prix exorbitants (est-il nécessaire de le dire ?…), des stands où l’on peut acheter des encens de toute taille (certains ressemblent plus à des bûches qu’à de l’encens) et des snacks plus ou moins classy, selon la profondeur de notre portefeuille. Il va s’en dire que Starbucks s’est implanté sur place. (7/11 aussi, mais ce serait radoter…) On en oublierait presque les raisons de notre venue : le bonhomme joufflu qui sourit à la foule qui se presse à ses pieds. Je sors l’appareil photo en me disant que malgré la batterie à plat, s’il y a un endroit où les miracles peuvent se produire, c’est bien ici. J’allume la machine et le zoom se déplie. Je n’ai pas le temps de dire ouf que mon bras est braqué en direction du Bouddha ; la mise-au-point se fait trop lentement à mon goût, je ne me donne pas la peine de réfléchir au cadre : j’appuie sur le déclencheur et j’attends le clic. CLIC. L’appareil s’éteint et le zoom rentre dans sa coquille. Durant un bref instant, je doute… ai-je la photo ? Oui me répond le cerveau, mais tu n’en auras pas d’autre. Pas grave, j’en demandais pas plus !

P1020238.JPGOn monte les marches qui nous mènent au Bouddha, je n’ai compté (ni lu) combien il y en avait. La seule chose que je sais, c’est que j’étais passablement fatigué en arrivant en haut. Le Bouddha est magnifique, en cuivre il me semble. A ses pieds se trouvent 6 femmes – trois à sa droite, trois à sa gauche – tenant des offrandes au creux de leurs mains. Les statues sont d’excellentes factures, je suis content d’être venu. On peut pénétrer à l’intérieur du Bouddha, à condition d’acheter un ticket pour le déjeuner… même si ce n’est pas très cher, il est encore tôt et on n’a pas très faim, alors on bataille pour passer outre. La femme en face de nous cède et nous annonce qu’on peut également prendre un ticket qui nous donne droit à un café et une gourmandise pour le tiers du prix du repas ; la perspective d’un café noir me réjouissant au plus haut point (vous vous doutez bien !), je dis banco et on se retrouve à l’intérieur. Au-dessus d’un autel somme toute sommaire se tient suspendue une cloche magnifique, un texte sacré gravé en chinois sur la paroi. La finesse des finitions me laisse rêveur, cette pièce vaut le détour à elle-seule. Je continue et je monte au premier ; une grande fresque représentant Bouddha et ses disciples fait le tour de la salle, de façon circulaire. Sur les piliers, sont exhibés des calligraphies et autres peintures aux motifs simples, travaillées selon les mêmes principes : peu de gestes, une précision chirurgicale ; un tracé souple en accord avec son sujet pour une représentation proche de l’âme qui l’habite. L’art de l’épure dans toute sa splendeur.

Là encore, je suis surpris par la qualité du produit qu’on nous propose. Je suis sous le charme et j’avance conquis de pièce en pièce jusqu’à cette pancarte abominable : « fini d’être construit en 1993, le Tian Tan Bouddha de Lantau Island s’est vu offert ces pièces par le temple… au Sri Lanka… » Traduction : « nous, riches hongkongais souhaitant dépenser nos millions de façon intelligente, avons acheté ces calligraphies, cette cloche et les autres statues que vous avez pu admirer sur le chemin menant ici… avec la promesse de subventionner pendant quelques générations le pauvre temple blabla qui a la malchance de se trouver en terre misérable. N’ayez crainte, on en prendra grand soin, avec la masse de touriste que nous envisageons de faire venir, le prix démesuré du parking devrait suffire à régler le rafraichissement annuel de l’édifice. » Beurk !

Mon plaisir est gâché par l’esprit mercantile de l’affaire. On peut dire que Hong Kong s’est payé son Bouddha, il n’a aucune légitimité à cet endroit. Les touristes arrivent par bus entiers et se déversent aux pieds d’une attraction qui pourrait tout aussi bien être une grosse vache sur son pic surplombant la vallée. Qu’il s’agisse d’un motif religieux m’attriste d’autant plus : on profite de la foi de certains pour s’en mettre plein les fouilles. Je n’ai qu’une envie : redescendre.

Suivant mon humeur, le temps s’est gâté. Il s’est mis à pleuvoir et le vent traverse le blouson léger que j’avais prévu pour l’occasion. Je suis transi de froid. J’essaie de me convaincre intérieurement qu’ils ont bien fait les choses – au moins la qualité est au rendez-vous – mais il me faut encore quelques minutes pour digérer l’information. Je retourne en bas et je me mets à la recherche du café compris dans le prix du ticket. Il faut se rendre au temple me dit une vieille dame à qui je ne veux pas acheter de carte postale. Elle tend le bras dans une direction et je lui fais confiance. Derrière un bâtiment d’une laideur fonctionnelle, je découvre deux temples aux couleurs généreuses. D’abord un petit qu’il faut traverser pour accéder à l’aîné. De chaque côté d’un Bouddha central, des démons censés nous effrayer : attention à vous qui marchez hors des sentiers de la sainteté !, nous ne sommes pas loin… quelques chinois font des courbettes devant Bouddha, marmonnant des mantras incompréhensibles. Ils tiennent de l’encens allumé entre leurs mains jointes, toujours un multiple de trois battons, et formulent des vœux de bonheur pour l’année à venir. Dans le Lonely Planet, on peut lire cette remarque cinglante : « il ne faut pas croire que le hongkongais est très croyant, il va dans les temples essentiellement parce qu’il a quelque chose à demander : une femme, un bon mariage, du succès, beaucoup d’argent… » Je crois que ces quelques lignes résument bien le sentiment général que laisse Hong Kong après l’avoir quitté.

Le grand temple vaut le coup d’œil, c’est le moins qu’on puisse dire. Il ne vaut certainement pas celui de Longshan qui se trouve à Taipei – et qui est d’une richesse exceptionnelle – mais dans sa manière brute d’exister, il a son charme. Je dis « brute » parce que les fresques ne sont pas les plus fines, que les couleurs sont parfois criardes et que des guides commentent la visite à des groupes d’américains ou de chinois… ça ne fait pas très sérieux, et pourtant il conserve un attrait indéniable. Si j’étais mauvaise langue, je dirais que la scénographie est bonne, tout simplement. Tout n’est pas affaire de moyens…

La bonne nouvelle, c’est que mon ticket me donne droit à quelques friandises aussitôt englouties. La mauvaise, c’est que le café ressemble à cette fameuse mélasse qu’on nous sert en Inde : un peu de café soluble, beaucoup de sucre et le reste de lait. Faites mijoter le tout une journée durant et vous aurez un café de Bombay ! (on peut d’ailleurs en faire de même avec le thé.)

Les canadiens me rejoignent et on s’interroge sur la suite des événements. Un téléphérique part du village et remonte vers le nord de l’île (attraction touristique avez-vous dit ?), ce qui nous botte pas mal, mais le temps ne semble pas vouloir s’arranger. Une chape de brouillard a fondu sur les pics environnants, engloutissant leur sommet sans promesse de restitution. Si la pluie nous déprime au plus haut point, on se décide à avancer jusqu’au comptoir, histoire de trancher une bonne fois pour toute dans le vif directement sur place. L’A/R est à plus de 20€, ce qui ne serait pas gênant en cas de ciel bleu et de vue imprenable… c’est loin d’être le cas. Oui, non, oui, non, la pluie devient averse et on fait demi-tour, direction le bus. Je propose Tai O, un petit village de pêcheur signalé dans le guide, mais ils semblent chauds pour rentrer. Dans ma tête, je me dis que c’est pour ça que je voyage seul maintenant, ça m’énerve de ne pas pouvoir aller où je veux, quand je veux. Ça aurait pu être sympa de se poser prendre un chocolat chaud dans une gargote locale. Ce sera pour la prochaine fois – je ne cesse de répéter ça !

Au final, on est rentré et je me suis écroulé sur mon lit après un bref passage au Peninsula Hotel. Je serais bien resté y prendre le thé mais ils trouvaient que c’était cher pour seulement du thé. (A cette occasion, je dois préciser que l’hôtel en question est un monument historiquement très chargé de Hong Kong, et qu’y prendre le thé à 17h est un luxe suprême à la portée de n’importe quel touriste souhaitant lâcher 25€ pour un peu d’eau aromatisée aux plantes, accompagnée de quelques biscuits que je devine goûteux.) Je les ai quittés et je suis parti déprimer ma journée dans mon 2m². Au passage, j’ai  acheté quelques friandises pour me remonter le moral… Aujourd’hui, je n’aurais pas vu Macao, je n’aurais pas vu tai O, je n’aurais pas pris le thé au Peninsula Hotel, mais au moins j’aurais eu ma dose de chocolat. On ne peut pas tout avoir.

Publié dans NOUVELLES EN VRAC

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article